Marcher à la suite du Christ

Marcher à la suite du Christ

Deux semaines après avoir terminé son service militaire, Vincent Perritaz décide de partir sur les chemins de Saint-Jacques de Compostelle. Ce premier pèlerinage fera de lui un marcheur de Dieu, un garde suisse, un aumônier militaire et un jeune croyant à la recherche de communautés chrétiennes. Rencontre.

Vincent Perritaz, 29 ans, est originaire de Villarlod. Il a grandi et fait ses études à Fribourg. À part trois ans d’absence à Rome, il a toujours habité la cité des Zaehringen. Sa maturité en poche, il fait son service militaire. «J’avais fait des projets pour la fin de l’école de recrue, mais on m’a demandé avec insistance de grader, ce qui a prolongé mon service. Mes projets sont tombés à l’eau. J’avais du temps devant moi, j’aime marcher, la période était propice à la démarche. Je suis parti sur les chemins de Saint-Jacques.» Vincent avoue qu’à l’époque il n’était pas intéressé par l’Église. La foi n’était pas le motif de son départ, mais il est rentré avec une foi revivifiée. «J’ai eu l’impression de rentrer avec une foi nouvelle, mais aujourd’hui, avec quelques années de recul, je me rends compte que mon environnement me portait déjà à la foi, c’est seulement moi qui était sourd et aveugle. Durant le chemin, je me suis approprié cette foi reçue dans l’enfance, j’ai appris à la faire grandir, comme une graine de moutarde qui avait besoin d’être arrosée.»

La Via Francigena

En marchant sur le chemin de Saint-Jacques, Vincent prend la décision de s’engager à la Garde Suisse Pontificale au Vatican. Il se rend à Rome à pied par la Via Francigena. «La Garde Suisse est quelque chose qui me dépassait. Aller à pied à Rome me semblait normal. Il n’y a rien de plus simple que de mettre un pied devant l’autre. Dans l’histoire des gardes suisses, je pense que la majorité d’entre eux ont été à pied à Rome. Finalement, marcher c’est faire de l’extraordinaire avec de l’ordinaire.»

Et la Garde Suisse est-ce aussi fantastique ?

«C’est une école de vie qui nous apporte énormément. Le service à la Garde va à contre-courant de la société d’aujourd’hui qui nous pousse à l’individualisme. Comme garde, j’ai passé de nombreuses heures en service, parfois sans en avoir envie. J’ai été retranché dans mes limites physiques et morales, mais j’ai appris à faire mon devoir non par plaisir, mais par fidélité. Ce n’était plus mes désirs qui passaient en premier, mais mon engagement. J’ai trouvé intéressant d’apprendre une certaine forme d’abnégation dans la fidélité.» Vincent souligne qu’il est difficile de faire une telle expérience dans la société actuelle. «Être fidèle c’est aussi faire ce que je n’ai pas envie de faire parce que je me suis engagé à le faire. Dans la vie chrétienne quotidienne, souvent nous ne désirons pas prier ou aller à la messe, mais le faire par fidélité c’est déjà un début.»

Vincent confie qu’il a énormément reçu de la communauté de la Garde Suisse. «Nous vivons un peu une expérience unique, être entre catholiques dans un monde catholique. La Garde est une communauté de catholiques très variés, entre ceux qui sont extrêmement ‘tradi’, ceux qui sont très progressistes et ceux qui se cherchent, ceux qui avaient l’habitude de participer à la messe et ceux qui n’y allaient jamais. C’est un panel assez vaste de ce que peut être un jeune catholique suisse aujourd’hui. La Garde était un milieu dans lequel nous pouvions parler de notre foi, en discuter. Parfois nous nous énervions, nous nous fâchions, mais nous faisions tout cela dans un esprit fraternel et à la fin nous nous pardonnions.»

Vincent constate que le retour en Suisse est souvent difficile, la solitude se fait sentir. «À Rome, nous avions la messe tous les jours à portée de main avec une communauté jeune qui nous soutient. De retour en Suisse, certains gardes se retrouvent dans leur campagne avec une communauté chrétienne presque inexistante.»

Rentrer à pied de Rome à Fribourg à la fin de son service à la Garde Suisse était pour Vincent une évidence. «Je ne savais pas ce que ça allait être en partant, je ne savais pas non plus ce que ça serait en rentrant. Il fallait boucler l’histoire.»

Un cours de catéchisme

La marche est quelque chose d’extrêmement spirituel. Pour Vincent, c’est en soi un cours de catéchisme. Il y a de nombreuses métaphores entre la foi et la marche. «Lorsque je réfléchis à Dieu, j’ai des images de la marche qui me viennent immédiatement à l’esprit. Par exemple lorsque nous marchons, nous avons les jambes lourdes, lever les pieds devient difficile. Si nous marchons à un bon rythme et que nous tapons dans une racine, cela faite extrêmement mal, de plus cela casse notre rythme. Il faut fournir un gros effort pour reprendre la marche à son rythme. Je trouve que cela est une manière assez incarnée d’expliquer les péchés.»

Vincent évoque également toutes les fois où le marcheur perd son chemin, ce que cela représente et la façon dont il retrouve la route. Il met cela en parallèle avec le péché, le discernement et les erreurs que nous pouvons faire dans la vie. En retraçant sa route, on peut trouver le moment où l’on s’est égaré et comprendre pourquoi on s’est perdu et ainsi apprendre de ses erreurs. C’est vraiment une métaphore de la vie chrétienne.

De retour en Suisse, Vincent s’inscrit à l’Université de Fribourg. «J’ai désiré étudier la théologie afin de progresser dans ma foi. C’est sans doute une réponse très intellectuelle.» Pour la compenser, il donne des cours de catéchisme, s’engage dans des camps jeunes. Il est également aumônier militaire. «Je me sens attiré par cette périphérie de l’Église.»

L’Église, c’est quoi pour vous ?

Vincent estime qu’aujourd’hui, dans le monde occidental, les chrétiens doivent impérativement faire l’expérience de la communauté. «J’aimerais que nous puissions voir dans la personne qui va à la messe un frère, une sœur, qui croient et qui ont besoin de nous autant que nous avons besoin d’eux. Nous devons aller à contre-pied de notre société individualiste.» Évidemment, après cette pandémie, Vincent observe que ce n’est pas facile. Cependant, avec un groupe d’amis, il nourrit le projet de sauvegarder le lieu d’une communauté religieuse de Fribourg. «Plusieurs communautés sont en train de s’éteindre, nous songeons à faire vivre un bâtiment, comme un patrimoine culturel et spirituel et d’y faire un lieu de la communauté. Nous ne voulons pas devenir une communauté laïque ni remplacer des religieux, mais en tant que laïcs, nous pourrions animer un espace dans le but de permettre à la parole de s’incarner. Nous avons besoin d’endroits où nous retrouver pour vivre ensemble notre foi.»

Propos recueillis par Véronique Benz pour Disciple aujourd’hui