La prière comme un sentier

La prière comme un sentier

Votre amour n’est qu’une brume du matin, une rosée d’aurore qui s’en va (Os 6,4). Indéniablement, l’affirmation est plus poétique que réjouissante. Notre amour se dissipe-t-il si facilement ? Nous berçons-nous d’illusions ? Que faire alors ? Cultiver cette désillusion ? Nous désoler de notre chronique inconstance qui dit beaucoup de notre chronique inconsistance ?

Demandons-nous plutôt comment naissent… les sentiers ! A coups de pelle et de pioche ? Oui, certains sentiers sont nés ainsi. Mais il en est d’autres – ceux des bêtes, par exemple – qui, sans déblai ni remblai, sans bruit ni heurt, naissent tout simplement des piétinements. Ces sentiers-là, en quelque sorte, matérialisent les pas qui sont passés par là et ne sont plus. Ces sentiers-là, conjointement, facilitent les pas à venir, qu’il reste encore à oser et à poser. Les sentiers sont à la fois rappel, à la fois appel. Plus les passages répétés marquent le sentier, plus le sentier invite à y passer. Cercle vertueux… qui ne tourne pas en rond !

N’est-ce pas ainsi qu’il faut envisager nos temps de prière ? Immatériels comme des pas, fugaces et sans effet apparent, et pourtant, comme eux, capables de creuser, peu à peu, un sentier vers Dieu. Alors, la question n’est plus tant la vitesse de progression, mais la fréquentation du sentier et son orientation. Alors les piétinements – et même le surplace – ne sont pas sans valeur : sans en avoir l’air, ils tracent et entretiennent le sentier. Car oui, il ne s’agit pas moins de tracer un sentier que de l’entretenir. Qu’on oublie d’y passer et il aura tôt fait de disparaître sous les feuilles mortes, les herbes folles et la pierraille éboulée.

Votre amour n’est qu’une brume du matin, une rosée d’aurore qui s’en va. C’est un fait : la brume et la rosée sont vouées à l’évaporation. Ephémères par nature, elles n’ont pour seule constance que leur inconstance quotidienne. Pas plus qu’on ne peut mettre en barrique la brume du matin ou engranger la rosée de l’aurore, on ne peut faire des réserves de prières, les mettre en conserve. Elles nous filent – et nous fileront toujours ! – entre les doigts comme une poignée d’eau claire… La prière, toujours, congédie l’esprit de possession, car elle ne connaît que le temps présent. Celui que nous parvenons à arracher au murmure intérieur qui nous accapare. Celui que nous recevons dans la joie d’en pouvoir faire don, un don qui s’évapore si vite et si bien qu’il est à réitérer sans cesse.

Notre amour n’est qu’une brume du matin, une rosée d’aurore qui s’en va ? Dieu merci ! Par cette inconstance, notre amour ne peut être, à moins d’être toujours neuf.

Jacques Doutaz / Juin 2023